13.3.04

EMBUSTES

Marie Claude Pietragalla

Na edição do Le Monde, de 11 de Março, vem uma história curiosa que de seguida reproduzo no original. Se retirarmos os aspectos meramente pessoais relativos a Marie Claude Pietragalla, se mudarmos os nomes dos intervenientes e algum circunstancialismo, e se, no lugar da Pietragalla, imaginarmos a direcção de um teatro de ópera em Portugal (descontando, naturalmente a beleza e o talento profissional da bailarina), no lugar dos administradores que não "aguentaram" a Pietragalla, alguns vogais do tal teatro de ópera e, se em vez do "ambiente" criado pela bailarina-directora no Ballet de Marselha, pensarmos no ar malsão, disfarçado com imenso perfume de mulheres, que se respira no referido teatro, a "história" poderia perfeitamente escrever-se em português, feitas as necessárias adaptações. Para quem domine a língua francesa e se interesse pelo futuro da ópera em Portugal, trata-se de um mero passatempo, estilo "veja as diferenças". A maior de todas é que Marie Claude Pietragalla já não é a "direcção" do Ballet de Marselha. No entanto, foram precisos seis anos para que o poder político, central e municipal, em França, tivesse percebido o que é que se passava. Como cá é tudo geralmente "de compreensão lenta" ou do estilo de "assobiar para o lado", e como nem sequer está em causa nenhuma "estrela", é provável que aos três anos que já passaram se somem outros tantos. Lá como cá, os embustes levam tempo a cair. Mas caem.

Pietragalla l'étoile vaincue

por Michel Samson

Tout avait si bien commencé. Le 28 septembre 1998, Marie-Claude Pietragalla danse avec le Ballet national de Marseille (BNM), dont elle vient de prendre la direction, sous la bénédiction conjointe de Catherine Trautmann, ministre socialiste de la culture, et de Jean-Claude Gaudin, maire UMP de Marseille. La danseuse étoile de l'Opéra de Paris, sauvagement belle, corse et indépendante, est acclamée par le public et les représentants des tutelles administratives présents à cette première. "Et si les applaudissements saluaient l'étoile, ils étaient comme autant de souhaits de bienvenue", écrit La Provence sans se tromper.

La belle Gisèle en a besoin. Roland Petit, qui a régné en monarque absolu sur le ballet durant vingt-six ans, est parti avec ses chorégraphies : vexé qu'on n'ait pas nommé le successeur de son choix, il interdit qu'on joue ce qui est le cœur de répertoire du ballet. A 35 ans, Marie-Claude Pietragalla se lance dans une tâche titanesque. Elle bâtit un répertoire, invite des chorégraphes, en même temps qu'elle danse, administre et prépare la diffusion des œuvres à peine écloses. Arrivée la première dans les locaux cubiques et blancs bâtis pour son prédécesseur, elle ne quitte les studios que pour son bureau du deuxième étage quand la troupe est partie. Le soutien ne lui manque pas : "J'ai trouvé toutes les équipes très motivées, remarque-t-elle à ce moment-là, les danseurs sont formidables et les chorégraphes qui viennent sont étonnés par leur capacité à s'adapter à tous les styles."

Ceux qui ont, depuis, rompu avec elle ont le même souvenir : "On a travaillé d'arrache-pied pendant six mois", se souvient une ancienne, qui accueillait "une telle star"avec enthousiasme. Corps de ballet, un autre ancien parle de "la bouffée d'oxygène apportée par une si belle danseuse".

La grande aventure prend forme au moment de Sakountala, création qui mêle des danseurs et des artistes de cirque dans une évocation flamboyante de la vie de Camille Claudel. Dans le maelström d'énergies déployées, les premiers craquements passent inaperçus. Travail acharné, don total de la créatrice, les danseurs acceptent l'intensité, mais sont parfois effrayés. La chute sans dommage d'un technicien d'un haut mur du décor provoque par exemple une inquiétude qu'ils taisent. Le spectacle triomphe à Marseille, puisque treize mille personnes viennent le voir au Dôme. Mais il a coûté cher et s'exporte mal, en tout cas pas autant que le travail investi aurait pu le laisser espérer. Marie-Claude Pietragalla estime aujourd'hui que la diffusion en a été "sabotée" et qu'à partir de ce moment-là une sourde résistance à tous ses projets s'installe dans l'administration de la compagnie, qu'elle trouve pléthorique. Elle croit encore qu'elle pourra la bousculer, mais c'est le contraire qui se passe : les choses se crispent. La future déléguée syndicale Jacqueline Ginoux, déjà membre de la CGT, travaille d'ailleurs dans l'administration du ballet. La lutte entre les deux femmes va être terrible.

Chez les danseurs, le remplacement de titulaires par des intermittents ou des élèves choque, mais le turnover est encore accepté. D'autant que beaucoup ont été titularisés alors qu'ils vivaient dans la précarité sous le règne de Roland Petit. Et des jeunes artistes arrivent, attirés par le prestige immense de "la Pietra". Ils sont encore émus de la rencontre, comme ce soliste qui avoue : "Elle m'a appris à entrer sur scène."

La crise qui couve s'envenime avec la retombée des enthousiasmes initiaux et les difficultés à tout tenir à la fois : renouvellement du répertoire et tournées, installation sur les grandes scènes et volonté d'ouverture vers de plus humbles salles. Dans la troupe, les mises à l'écart sont vécues douloureusement. Les rivalités et les lourdeurs administratives exaspèrent Marie-Claude Pietragalla, qui devient cassante après avoir demandé qu'on la tutoie. Devant les machines à café où l'on se repose, où l'on mange, fume et bavarde, les rumeurs vont bon train. Les réputations s'y font et s'y défont. Une danseuse commente : "Je me disais : est-ce que je vais danser si je prends un café avec untel ?"

La bonne ou mauvaise humeur de la nouvelle directrice désireuse de changer les choses deviennent le baromètre d'une ambiance qui s'alourdit. Une soliste qui a connu les deux se souvient : "Avec Roland Petit, c'était dur. Mais, avec elle, on éprouvait surtout un sentiment d'injustice." Ceux qui veulent s'adresser à elle n'osent plus : "Je n'avais qu'une peur : être sous le feu de Pietra", dit un danseur, qui deviendra délégué du personnel. Mais tant que les danseurs restent cois, rien ne peut bouger dans un ballet : ils en sont l'âme.

Il faut pourtant parler, partager ses inquiétudes, en faire part aux tutelles - ville, ministère et région. Quelques salariés décident de se rencontrer hors les murs, dans un bar blotti au fond du parc Borély, à quelques centaines de mètres du ballet. En ce mois d'avril 2001, dans une ambiance un brin conspiratrice, le soir venu, des danseurs et des administratifs rencontrent donc Serge Botey, adjoint à la culture, et Jean Mangion, directeur de la culture de la ville de Marseille. On leur raconte les tensions, on leur décrit une situation financière et administrative catastrophique - et on leur demande la discrétion.

Le lendemain survient un choc brutal dont l'écho retentit encore trois ans après. Fulminante et glacée, Marie-Claude Pietragalla réunit tous ses danseurs dans le grand studio, le lieu même de la vie, des répétitions, des exercices, l'endroit familier et magique où tout se joue. Et elle lance : "Vous ne sortirez pas d'ici tant que je ne saurai pas qui était là-bas." Les conjurés sont abasourdis d'avoir été trahis, stupéfaits d'être ainsi traités. Le silence est interminable mais personne ne se dénoncera.

De ce moment resteront des traces indélébiles. D'abord sous la forme d'une section syndicale CGT, créée à ce moment-là, qui deviendra une interlocutrice obligée, une informatrice des tutelles, et s'adressera parfois au public avant les représentations. L'inscription des conflits dans un cadre syndical, après tout bien ordinaire, prend dans cette entreprise où les corps et les ego jouent un rôle majeur une dimension pathétique : tout désaccord s'y fige. La disgrâce passagère perd toute fluidité, le "désaccord esthétique", avancé comme argument, cache des divergences syndicales, et réciproquement. Ensuite, à compter de ce jour, la haine s'instillera dans cette maison de la danse. Marie-Claude Pietragalla se dit aujourd'hui persuadée que ses propres danseurs ont, par moments, voulu l'agresser physiquement - et qu'elle l'a senti durant les représentations. Les danseurs rient ou enragent de cette accusation qu'ils trouvent insensée. Cette polémique serait ridicule si elle ne disait l'intensité atteinte dans le ressentiment.

La crise, devenue publique, inquiète les tutelles. Le ministère de la culture diligente à l'automne une inspection, achevée en février 2002, qui rend hommage au travail de la directrice : "La construction d'un nouveau répertoire et les conditions de sa mise en œuvre constituaient un véritable défi que Marie-Claude Pietragalla a relevé", y lit-on. Il prend cependant en compte les faits dénoncés par les contestataires et les minimise : ils "n'ont jamais eu (...) un caractère de gravité tel qu'on puisse les apparenter à une quelconque forme de harcèlement moral". Le texte constate que la "mauvaise organisation est avant tout structurelle et commande une refonte approfondie de l'organigramme". Il a pour résultat de commencer à le transformer : Mlle Pietragalla reste l'incontestable directrice artistique mais, pour qu'elle puisse se consacrer à son art, on nomme un administrateur général. Les tutelles, qui redoutent de se séparer d'une artiste magnifique, reconnue et adorée du public, lui ont donc accordé une deuxième chance.

Marc Sadaoui, ancien directeur de cabinet de Catherine Trautmann, arrive en juin 2002 pour prendre en charge l'administration de cette institution troublée. Sa compétence, au départ reconnue de tous, son onctuosité doivent permettre de ramener le ballet vers des eaux plus sereines. Il se met au travail mais échoue à reformer en profondeur la maison secouée de conflits. Et qu'un amour va encore agiter. Car Julien Derouault, danseur soliste, et Mlle Pietragalla vivent une passion qui devient l'affaire du ballet : l'ami de la directrice est en effet nommé chorégraphe adjoint et, comble de maladresse, se fait élire délégué syndical Force ouvrière, avec 22 % des voix. Tout se complique un peu plus. Ses déclarations ne sont plus perçues que comme la voix de la direction, ses colères comme celles d'un porte-parole. Et il n'est pas adroit : il s'emporte en traitant des danseurs de "mongoliens" ou de "fascistes". Des mots qui, exactement rapportés ou non, sont gravés dans les esprits de ceux qui n'étaient pas les plus mal disposés à l'égard de son amie.

Et voilà que, le 2 février 2004, Marc Sadaoui, écartelé, démissionne sans crier gare, avant de se murer dans le silence. La crise explose : il est, en effet, le troisième administrateur à partir depuis septembre 1998. Le premier a quitté son poste quand "la Pietra" est arrivée, mais deux autres ont aussi jeté l'éponge. La majorité du personnel manifeste sa colère avec une pétition demandant le départ de la directrice : elle est signée par soixante-deux salariés sur soixante-dix-huit, dont "87,5 % des danseurs". Pour la première fois de leur vie, le 19 février, danseurs et danseuses bravent le froid pour se mettre en grève et manifester devant l'hôtel de ville. Le ministre Jean-Jacques Aillagon, présent à Marseille ce jour-là, lâche l'étoile qu'il a reçue deux fois dans les mois précédents : il déclare publiquement qu'elle devrait démissionner. Elle s'y refuse, ce qui rend la situation d'autant plus inextricable qu'elle est enceinte, et donc protégée. Quelques jours plus tard, les contestataires interrompent une conférence de presse de présentation du programme que doit danser le Ballet national à La Criée, Théâtre national de Marseille. Ils annoncent qu'ils se mettront en grève si leur directrice n'est pas partie d'ici au 11 mars, jour de la première. Et ils obtiennent gain de cause : le conseil d'administration se réunit le 27 février et prend acte "de la volonté de monsieur le ministre (...) que soit engagé le processus de renouvellement de la direction du BNM". Le préavis de grève est levé, le ballet dansera jeudi 11 mars.

Il répète Métamorphoses II, chorégraphie de Marie-Claude Pietragalla pour six danseuses à qui elle ne parle plus. Ces "danseuses masquées sont le reflet d'un quotidien privé d'expression et noyé dans l'anonymat", dit l'argument écrit de la chorégraphie. Aux répétitions qui se tiennent dans les locaux du ballet, les danseuses travaillent sous la direction de Julien Destel, danseur soliste, répétiteur dévoué, respecté de toutes et qui, geste après pointe, fait défiler les figures. A La Criée, les répétitions sont fermées. On apprend que la chorégraphe, murée dans son silence, est installée en haut de la grande salle. Elle transmet par micro ses corrections à son chorégraphe adjoint, Julien Derouault, qui les transmet à son tour aux danseuses.

Un technicien qui assiste à ces répétitions sans échanges directs assure que, malgré la haine palpable qui règne dans la troupe, le spectacle sera "magnifique". Il se persuade que le ballet assurera "demain, comme il l'a fait partout et toujours, son travail et que le public, qui est toujours resté fidèle, le reconnaîtra". Et brusquement, ce costaud au long passé professionnel, se met à pleurer : "Vous ne vous rendez pas compte comme c'est dur. Je n'ai jamais vu ça. Ce n'est pas dur : c'est inhumain comme ambiance, inhumain..."

Evidemment blessée, Marie-Claude Pietragalla, qui a refusé de recevoir Le Monde pour cet article, n'est pourtant pas du genre à s'avouer vaincue. Le soir de ces répétitions qui font pleurer son régisseur, elle est invitée au Théâtre Toursky de Richard Martin, où elle a dansé Ni Dieu ni maître sur Léo Ferré, idole du lieu. Face à cent cinquante personnes venues lui dire leur amour, "la Pietra" passe, sans ciller, de l'émotion face à tant d'amour affiché à une froide colère. Elle revient sur les détails "de la grande manipulation" dont elle est victime et annonce au public outré qu'elle vient de recevoir une lettre de licenciement pour faute grave. Une femme submergée de timidité sort un morceau de papier sur lequel elle a écrit son compliment de peur d'être trahie par l'émotion. Elle se lance :"J'ai beaucoup d'amour pour vous, vous êtes l'étoile merveilleuse qui nous est tombée du ciel." Les négociations entre la danseuse étoile et le BNM se poursuivent pourtant. Mardi soir 9 mars, elles échouent. Pietra s'oppose alors à ce que le ballet joue ses chorégraphies : le spectacle à La Criée est annulé. Marseille a tourné la page Pietragalla.


(Le Monde, 11 de Março de 2004)

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